Marie Perbost : « Il faut valoriser les femmes qui ont de l’âge »
Marie Perbost, vous aviez déjà été nommée comme révélation lyrique aux Victoires de la musique classique en 2018, avant de devoir déclarer forfait pour raison de santé. Vous vous êtes déjà exprimée dans nos pages sur cet événement. Comment vivez-vous le fait d’avoir été de nouveau nommée ?
Personne n’avait jamais été nommé deux fois : j’ai donc déjà gagné cela, et j’en suis bien contente. Je leur suis reconnaissante, car cela fait ainsi deux fois que je bénéficie d’une belle publicité. Lorsque je l’ai appris, j’ai ressenti un mélange entre une grande joie, car je ne m’y attendais pas du tout, et la peur de replonger dans l’expérience un peu traumatisante d’il y a deux ans. Je n’avais rien annulé jusque-là : cela m’est apparu comme la fin du monde. Je pensais que j’avais laissé passer ma chance. J’ai heureusement appris à cette occasion que ce n’était pas si grave, que cela arrive à tous les collègues, y compris au plus haut niveau. Je me suis dit, aussi, que cette fois je ne pouvais pas manquer les Victoires une seconde fois : j’ai fait très attention en vélo pendant les grèves et ma belle-mère m’a tricoté une écharpe pour que je ne tombe pas malade !
Qu’avez-vous choisi de présenter lors du Concert des révélations ?
J’avais très envie de faire La Tour Eiffel de Désiré Dihau, un contrebassiste comme mon conjoint, ça crée des liens ! C’est une pièce que j’ai chantée près d’une centaine de fois, et que j’ai beaucoup travaillée avec mon metteur en scène Pascal Neyron, qui est actuellement à l’Académie de l’Opéra de Paris. J’ai cherché du répertoire lyrique pour montrer ma voix et j’ai souhaité défendre l’air des bijoux de Faust. J’ai eu des réticences au départ du fait de toutes les connotations liées à cet air éculé, mais Emmanuel Olivier, qui m’a accompagnée au piano, m’a fait des propositions théâtrales et d’interprétation musicale considérant les bijoux comme un objet d’addiction. Nous avons travaillé l’ensorcellement, le côté venimeux, et j’ai trouvé cela très intéressant. Et puis je l’ai beaucoup chanté donc ça m’offrait des garanties : l’un des enjeux de ce concert est de maîtriser ses nerfs car on arrive à 14h et je suis passée sur scène à 22h. J’avais besoin d’un répertoire que je pouvais chanter, même pendue par les pieds ! C’est un ami qui m’a suggéré de chanter O mio babbino caro extrait de Gianni Schicchi : je l’ai essayé et il m’allait comme un gant.
Comment vivez-vous cette compétition ?
J’ai fait beaucoup de choses depuis deux ans, mais je ne me suis pas débarrassée de mon syndrome de l’imposteur. Encore davantage, plus il m’arrive de belles choses, plus il est présent. Je suis maintenant connue de personnes que je ne connais pas : je n’y suis pas préparée, d’autant que je n’ai jamais fait de télévision. C’est difficile à digérer, mais je vais finir par m’y habituer. Cet effet est amplifié par les Victoires de la musique car j’ai constamment l’impression d’être jugée, même lorsque je ne suis pas sur scène. De même, Adèle Charvet est une très bonne copine (on était à la Maîtrise de Radio France ensemble) et je ne voudrais pas que cela change. On s’écrit des petits messages pour lutter contre un esprit de compétition qui pourrait tendre notre relation. J’ai hâte que les votes soient clos.
Est-ce différent des autres concours que vous avez faits ?
J’ai rarement été face à des amis dans les concours précédents. Le seul où cela s’est produit est le concours d’Avignon : j’en suis revenue avec un prix mais en ayant perdu deux amis. Il faut dire que nous étions jeunes et immatures. Les concours internationaux sont différents dans l’esprit, ils se sont toujours très bien passés. On y rencontre des artistes de grande qualité venant du monde entier. Ils durent trois semaines pendant lesquelles on est sous pression et loin de chez nous, alors tout le monde se serre les coudes. Le Concours de Genève était le plus fort de ce point de vue.
Comment vous préparez-vous à la cérémonie, diffusée sur France Télévisions ?
La caméra n’a jamais été ma meilleure amie. J’aime en revanche les micros : j’adorerais d’ailleurs faire de la radio dans une vie future. Ceci dit, la captation du Concert des révélations a été formidable : on ne voyait pas les caméras. À ce stade, nous discutons sur ce que nous chanterons. La production souhaitait au départ que je chante de nouveau La Tour Eiffel. Mais c’est une chanson à texte et je souhaitais plutôt montrer ma technique lyrique que je travaille depuis dix ans. Et puis la vidéo de La Tour Eiffel est déjà sur internet. L’attente des résultats, avec le risque de devoir rester assise, est stressante, mais je serai entourée d’artistes très confirmés qui seront probablement dans le même état : cela fait relativiser.
Lors de votre précédente interview, vous évoquiez la possibilité de tenter le concours Operalia : où en êtes-vous de votre réflexion ?
J’ai trop de projets cet été pour postuler cette année. Bien sûr, j’y pense toujours. J’aimerais bien essayer un jour. Ce qui est compliqué, c’est que je suis en transition dans mon répertoire : je passe du lyrique léger au vrai lyrique. Participer n’aurait de sens qu’avec ce nouveau répertoire mais il faut pour cela que je le maîtrise vraiment, ce qui n’est pas encore le cas. Je travaille des rôles comme Fiordiligi, Elvira ou Rosalinde dans La Chauve-Souris. J’étais contente quand j’ai chanté l’air des bijoux au Concert des révélations car j’avais l’impression d’avoir enfin trouvé mon personnage psychologique, l’adéquation cohérente entre mon physique et ma voix. J’ai toujours été un peu frustrée dans les personnages de jeune première lyrique léger : l’actrice que je suis ne se sentait pas en cohérence avec le personnage.
Quel serait l’objectif d’une participation à ce concours ?
Ce serait super de pouvoir développer une carrière internationale. J’ai eu la chance de décrocher un rôle dans la production du Voyage dans la Lune du CFPL [Centre Français de Promotion Lyrique, ndlr] : nous allons faire une tournée sur trois ans. À l’audition, il y avait 14 tables alignées avec tous les directeurs de théâtre associés au projet : la pression était maximale ! Le rôle, que je partage avec Violette Polchi, est énorme et dur à chanter, avec cinq ou six airs. C’est un rôle de vrai lyrique, en pantalon, qui va me permettre de visiter toutes les maisons d’opéra de France, ce qui va me donner un ancrage intéressant dans notre pays pour montrer à ces directeurs ce que je peux faire dans d’autres répertoires. Mais je voudrais essayer de m’ouvrir aussi des portes en Allemagne : ma vocalité devrait les intéresser. J’avais eu d’excellents retours lorsque j’avais chanté Pamina à Salzbourg. Operalia serait une sorte d’audition à ciel ouvert pour cela.
Comment avez-vous pris conscience que vous deviez faire évoluer votre répertoire ?
J’ai été invitée à l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence l’été dernier. J’y ai passé trois semaines formidables mais avec un travail extrêmement intensif. On était en scène un jour sur deux, avec des programmes différents à chaque fois. L’équipe pédagogique a tout de suite senti que j’étais en transition mais que je n’étais pas prête dans ma tête à franchir le pas : ils m’ont donc fait travailler du répertoire vraiment lyrique, comme Adina ou Micaëla. Ils m’ont obligée à aller chercher théâtralement des choses dont je n’ai pas l’habitude : des femmes de caractère, d’autorité, alors que j’ai plus l’habitude de personnages minaudant, complices avec le public. J’en suis contente, d’autant que je suis fière de vieillir car je gagne en qualité, en confiance, en expérience.
Est-ce un sujet qui vous préoccupe ?
Il faut valoriser les femmes qui ont de l’âge. J’ai beaucoup de collègues de 45 ans qui n’ont jamais aussi bien chanté de leur vie, mais à qui on ne propose plus de rôles : cela me terrorise. Je viens d’avoir 30 ans et j’en suis très contente. Mon souhait le plus cher est de ne pas être rejetée à 45 ans du fait de mon âge, au moment où je serai la plus prête professionnellement, à la fois nerveusement, artistiquement et techniquement. Je sens qu’il y a un attrait pour la jeunesse dont je bénéficie aujourd’hui, mais que je ne mérite pas car je n’ai rien fait pour avoir mon âge !
Vous mentionniez votre rêve de faire de la radio : réfléchissez-vous déjà à une éventuelle reconversion ?
Nous sommes en plein débat sur les retraites : on y pense forcément. Au fond de moi, je suis persuadée que je n’aurai jamais de retraite. J’économise autant que je le peux. Le traumatisme d’avoir dû annuler joue aussi : j’ai réalisé que notre instrument était vraiment fragile, que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Je pense à la possibilité que cette carrière se termine, mais je voudrais vraiment que la décision d’arrêter de chanter vienne de moi. La radio serait plutôt une piste pour mes vieux jours, quand j’aurai roulé ma bosse et que j’aurai des choses à dire. Je sens que ma voix va s’épanouir dans un plus grand lyrisme, mais je ne veux pas y aller trop vite. Il y a des rôles de femmes matures que je trouve extraordinaires et que j’aimerais pouvoir chanter.
À propos d'âge, vous avez écrit un spectacle, Une jeunesse à Paris : comment décririez-vous ce projet ?
C’est un projet très intéressant car je m’y mets en danger dans une forme proche du stand up. C’est un spectacle que j’ai écrit pour établir une relation différente avec le public et proposer un récital un peu décalé. Je voulais voir dans quelle mesure il pouvait être intéressant de mélanger cet exercice à l’art lyrique. Bien sûr, je ne suis pas une artiste de stand up. C’est un métier à part entière, très difficile. Mais on a trouvé des choses intéressantes dans la relation entre les textes et la mélodie, l’opérette ou l’opéra français. Je suis accompagnée d’un ami comédien, les textes s’enchaînent avec des airs chantés. Je commence par interpréter Mimi dans La Bohème, puis ça dérape et ça part très loin. Marianne James et son Ultima recital ont été une inspiration. Ce spectacle m’a fait un électrochoc, alors que j’avais beaucoup d’a priori. C’est d’une grande intelligence : elle soulève tous les sujets qui m’intéressent dans la relation au public, à l’accompagnateur, aux névroses qui nous donnent envie de monter sur scène.
Avez-vous commencé à faire tourner ce spectacle ?
Nous en avons déjà fait quatre représentations grâce au Festival En Voix. En avril, l’association AJAM nous offre une dizaine de dates dans toute l’Alsace. Cela permet d’aller chanter dans de tout petits bourgs aux noms rigolos, dans des salles parfois pas du tout adaptées à un spectacle lyrique. C’est indispensable à mes yeux : cela fait partie du travail de l’artiste de s’investir dans une sorte de service public.
Est-ce un aspect de votre travail important pour vous ?
Ayant bénéficié d’une formation quasi-gratuite au CNSM, il me semble important de rendre ce que j’ai reçu. Durant ces spectacles, je ressens mon utilité et je montre que les intermittents du spectacle ne sont pas au grappin de la société, mais que nous sommes à son service. J’ai le cœur brisé quand j’entends dans le débat des retraites la manière dont on parle des artistes. J’ai essayé d’expliquer que le système de retraite des artistes est autosuffisant, mais le grand public a l’impression de travailler pour nous sans voir notre utilité. Cela me rend triste.
Quel lien ce spectacle a-t-il avec votre album éponyme ?
Le spectacle est basé sur une grande partie du répertoire du disque : maintenant qu’on l’a enregistré, on le chante bien ! Je vais recevoir mes premiers relevés de vente le mois prochain, mais j’ai l’impression qu’Harmonia mundi est très content. Je réfléchis beaucoup car ils voudraient qu’on enregistre un nouveau disque rapidement, mais un enregistrement est une responsabilité : j’ai besoin que ce soit un projet qui ait du sens. Je recherche un musicologue pour travailler avec moi afin de trouver des répertoires qui aient du sens, et les relier de manière puissante.
Il y a un an, vous chantiez Pamina à Tours : il s’agissait de votre premier rôle principal sur une scène de premier plan. Comment cela s’est-il passé ?
Merveilleusement ! L’équipe de l’Opéra de Tours m’a vraiment bien accueillie et l’acoustique du théâtre est incroyable. C’est idéal pour prendre un rôle. Ils m’ont proposé de revenir pour chanter Fiordiligi, mais j’ai dû refuser, la mort dans l’âme, pour des questions de calendrier. L’histoire avec eux se prolonge toutefois car on va faire un concert Beethoven en tournée sur six dates. Ça va être formidable : il y a une telle lumière dans cette musique. J’ai adoré chanter Pamina, d’autant que j’ai trouvé la proposition de mise en scène de Bérénice Collet très puissante : c’était très différent de ce que j’avais fait à Salzbourg. J’étais toute en cuir avec des couteaux partout et j’avais un combat avec Monostatos. J’ai dû jouer une scène de viol assez épouvantable, qui a dérangé, mais qui était bien faite dans le travail, pas du tout gratuite. C’était une expérience théâtrale intéressante. On me jetait par terre : j’avais des bleus partout. J’étais contente de pouvoir pousser ce rôle si loin dans un angle que je n’avais jamais exploré jusque-là.
Vous citiez il y a quelques mois Pamina et Blanche comme de possibles rôles-clé dans votre carrière : êtes-vous toujours de cet avis ?
Ce sont en effet des rôles parfaits. Alexander Neef [le prochain Directeur de l’Opéra de Paris, ndlr] m’a invitée à auditionner : je vais lui présenter Blanche et Micaëla. Il devrait par ailleurs y avoir une nouvelle production importante de Pamina dans les saisons à venir. Au-delà, après avoir exploré les rôles d’Elvira et Rosalinde dans La Chauve-Souris, je me dis qu’il y a aussi des choses très intéressantes à faire avec ces rôles.
Le grand événement de cette saison sera Platée à Toulouse et Versailles, où vous interpréterez La Folie : qu’en attendez-vous ?
Ça s’annonce haut en couleurs. Il va falloir faire une Folie au niveau de Shirley, Dino et Hervé Niquet [les metteurs en scène et Directeur musical de la production, ndlr] : c’est trop de pression ! J’ai été choisie par Christophe Ghristi et ne connaissais à l’époque aucun des trois. J’ai depuis travaillé avec Hervé Niquet pour Richard Cœur-de-Lion à Versailles (compte-rendu) : ça a été le grand amour. Il est extraordinaire. J’ai adoré travailler avec lui et ça semble être réciproque car il m’a depuis proposé de nombreux projets. Sur ce rôle, je vais pouvoir travailler des sons surprenants, tordre un peu ma voix : cela va me changer de mon quotidien où on attend chaque jour de moi que je fasse du beau chant.
Quelles seront les nouveautés de vos prochaines saisons ?
Je vais retourner à Tours pour une très enthousiasmante Princesse jaune de Saint-Saëns. Je vais aussi collaborer avec plusieurs ensembles baroques. J’ai par exemple été recrutée par Les Ombres et je vais débuter au Festival Radio France de Montpellier et à Ambronay avec eux. Je travaille surtout les rôles plus lyriques afin de pouvoir les proposer en audition pour les saisons suivantes.
Vous étiez annoncée en Page dans Rigoletto pour vos débuts à Bastille : pourquoi cela ne se fait-il pas (elle a été remplacée par Liubov Medvedeva, elle-même remplacée par Ilanah Lobel-Torres) ?
En fait, je n’étais pas au courant que j’étais programmée : je l’ai appris dans la brochure de l’Opéra de Paris, alors que je sortais de scène pour la Flûte à Tours. C’est l’Académie de l’Opéra [à laquelle elle a appartenu pendant un an, ndlr] qui a proposé mon nom, sans savoir que j’étais déjà programmée dans Platée à Toulouse. J’espère que ce n’est que partie remise. J’ai très envie de chanter un jour à Garnier.
Ôlyrix a interviewé, comme chaque année, les trois artistes lyriques nommés dans la catégorie Révélations :
Adèle Charvet : « Je vais chanter Carmen, Mélisande et Siebel la saison prochaine »
Kévin Amiel : « Je n’accepte plus que des rôles de premiers plans »